Michel ZINK

De prime abord, le parcours exemplaire et fulgurant de Michel ZINK, impressionne : normalien, agrégé de lettres, professeur à l’université de Toulouse, puis titulaire à la Sorbonne, enfin titulaire de la chaire de littérature médiévale au Collège de France.

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Il est à double titre membre de l’institut : membre de l’Académie des inscriptions et belles lettres depuis 2000, et secrétaire perpétuel de cette académie de 2011 à 2022. En 2017, il est élu à l’Académie française au fauteuil 37.

Ses récompenses et distinctions, sont pléthore, elles révèlent à la fois son talent et sa servitude envers le bien public, que ce soit en France ou à l’étranger : Grand Officier de la Légion d’honneur, Commandeur des Palmes académiques, des Arts et des Lettres et de l’ordre du Mérite de la République italienne, Étoile d’or et d’argent de l’ordre du Soleil levant.

Il est également correspondant de l’Academy of America, de l’American Academy of Arts and Sciences, de l’Académie des sciences de Lisbonne et de l’Académie autrichienne des sciences…

Auteur d’une quarantaine d’ouvrages, essais littéraires, éditions critiques, romans, sur la poésie, la chanson de gestes, les lectures d’enfance, cet homme de lettres fascine et séduit.

La création en 1988 au Livre de Poche de la collection Lettres gothiques, l’écoute de ses propos lors de conférences, émissions, chroniques ou interviews dévoilent une fougue humaniste au-delà de son goût généreux pour la poésie.

Lors de son installation au fauteuil de l’Académie, le mot « vibrant » lui fût attribué. Voici l’extrait de la définition : « VIBRANT s’emploie figurément. Après ce magnifique discours, l’auditoire vibrant d’émotion éclata en applaudissements. ».

Cette année, il nous intéresse plus particulièrement pour son ouvrage Nature et poésie au Moyen-Âge, nous espérons avoir l’honneur comme l’an passé de l’entendre à Lormes lors de notre édition du mois d’aout.

Nivernais d’adoption

> Extraits de « Nature et poésie au moyen âge » <

La nature s’impose. Nature des choses, nature des hommes, nature des dieux, nature de Dieu. Nature créée, définie par le changement, celui de la naissance, de la croissance, de la dégénérescence et de la mort, celui de la reproduction et de la fécondité. Nature ordonnatrice de la création et régulatrice d’un monde soumis à la révolution des astres et à l’écoulement du temps : « Sic volvenda aetas commutat tempora rerum ». Nature, objet de la connaissance. La nature est au cœur de la philosophie antique comme investigation de soi et du monde, comme art de vivre et de mourir.

Elle est tout autant au cœur de la méditation chrétienne. Le Dieu qui a établi la nature de chacune de ses créatures et lui a imposé de s’y soumettre, ce Dieu, en se faisant homme et en ressuscitant des morts, transgresse lui-même la loi de sa création et érige cette transgression en loi nouvelle : « Mors stupebit et natura, / Cum resurget creatura? ». La nature est le terrain privilégié sur lequel le Moyen Âge confronte la foi chrétienne à la pensée antique. De Platon, il ne connaît longtemps que la partie du Timée traduite en latin et commentée par Calcidius, autrement dit un dialogue qui traite de la nature, de l’âme du monde, du démiurge. Au xi siècle, « l’école de Chartres » tentera de concilier avec le récit de la Genèse la vision de la naissance de l’univers qui s’y exprime. Jean Scot ÉRIGENE emploie sa rare connaissance du grec à fonder toute sa pensée sur l’idée de nature.
C’est la philosophie naturelle qui, lorsque l’œuvre d’Aristote sera redécouverte, contraindra la théologie à penser différemment son rapport au monde.

En un mot, la pensée de la nature englobe toute la philosophie antique et médiévale. N’est-il pas dérisoire de l’aborder dans sa relation à la poésie ? Que lui impedie la poésie ? Que pèse la poésie au regard de la connaissance de l’univers ?

Il y a peu, un savant qui a voué sa vie à la philosophie antique, un penseur qui s’en est nourri et dont le cheminement intellectuel, de son propre aveu, s’enracine dans une expérience spirituelle vécue comme une révélation de son appartenance au grand tout du monde, a consacré à l’histoire de l’idée de Nature un livre insurpassable. Que pourrait y ajouter la prise en compte de la question marginale qu’est la relation entre la poésie et la nature à une époque particulière, le Moyen Âge ? Pierre HADOT part de la formule d’Héraclite généralement traduite par : « La Nature aime à se cacher », pour montrer qu’elle n’avait certainement pas pour son auteur ce sens, qu’on lui a pourtant très tôt donné. Or c’est précisément ce sens qui fournit aux auteurs médiévaux un argument en faveur de la légitimité, toujours mise en doute, de la poésie : le langage poétique respecte la pudeur de la nature en dissimulant ses secrets sous le voile du sens figuré. Pierre HADOT ne le dit pas en ces propres termes, car il n’envisage pas à proprement parler la relation entre la poésie et la nature. La poésie n’est pas son sujet. Mais il place au centre de son essai ce qui fonde au Moyen Âge le lien entre la poésie et la nature et ce qui, de la poésie, fait à ses yeux un langage nécessaire pour dire la nature. Que dire de plus ?

Quelques décennies auparavant, dès le premier chapitre d’un ouvrage à l’orientation bien différente, mais intitulé lui aussi Histoire de l’idée de nature, Robert LENOBLE évoquait pour sa part directement, bien que de façon beaucoup plus générale, les pouvoirs de la poésie au regard de la nature (« Et il reste toujours la poésie »), en soulignant que la jouissance esthétique est produite par le sentiment d’une harmonie entre la nature et l’homme :

« Ainsi, à la place de l’harmonie abstraite des sphères, la musique sensible,
audible, est réintroduite au niveau le plus élevé, accompagnée d’une profération
de louange et de jubilation qui est de l’ordre du poétique. À l’abstraction des
rapports et des lois mathématiques qui règlent le cosmos se substitue le chœur
des anges qui louent le Seigneur — musique véritable, ou du moins musique que
la faiblesse humaine ne peut se figurer que par analogie avec la musica instrumentalis.
Au-dessus de l’ordre même de l’univers, au-delà de toute louange que
les hommes et la nature peuvent adresser à Dieu, il y a le poème chanté sans fin
par les anges, comme un modèle et une justification pour le chant et les mots
d’une liturgie. »

Littérature de la France médiévale, Nature et poésie au moyen âge, 1999. Téléchargez le texte complet.

> Extrait de son discours de réception à l’Académie Française <

« Les troubadours de langue d’oc me paraissaient et me paraissent encore un sommet de la poésie.
J’aimais les contes et les chansons populaires : j’ai suivi leur fil d’Ariane jusqu’au Moyen Âge. »